- DORSALES OCÉANIQUES
- DORSALES OCÉANIQUESLes dorsales océaniques (souvent appelées dorsales médio-océaniques, bien qu’elles n’occupent pas toujours une position médiane) désignent des chaînes sous-marines existant dans tous les bassins océaniques. Alignées sur près de 60 000 kilomètres et localisées à la limite de deux plaques lithosphériques divergentes, elles représentent l’un des environnements les plus actifs de la Terre. En effet, quand deux plaques se séparent, le manteau chaud de l’asthénosphère remonte. Au droit de cette zone, c’est-à-dire au centre des dorsales, une nouvelle croûte océanique se crée à un taux moyen de 20 kilomètres cubes par an. Sa formation est initiée par la décompression adiabatique de l’asthénosphère suivie de processus complexes de fusion, de mélange et de cristallisation fractionnée en système ouvert. La croûte nouvelle et chaude est rapidement refroidie et altérée par l’eau de mer. Cette dernière, s’infiltrant dans ce milieu très fracturé, change de composition au cours de ce circuit hydrothermal et émerge au fond des océans dans des zones très ponctuelles en précipitant des sulfures et des oxydes polymétalliques. Ce fluide hydrothermal alimente aussi les écosystèmes localisés dans ces régions et qui constituent de véritables oasis de vie sous-marines. L’activité hydrothermale modifie aussi la chimie des océans. Les interactions entre l’asthénosphère, la lithosphère, l’océan et les communautés animales sont importantes mais encore mal comprises.De nombreuses expéditions ont été entreprises pour étudier les dorsales. La mission franco-américaine F.A.M.O.U.S. (French American Mid-Ocean Undersea Study, 1973-1974), se consacre à l’étude détaillée de l’axe de la dorsale médio-atlantique, au large des Açores, à l’aide de submersibles habités. En 1978-1979, un programme similaire d’étude d’une dorsale plus rapide est mené par les États-Unis, la France et le Mexique sur la dorsale du Pacifique est, à l’entrée du golfe de Californie, dans le cadre du projet baptisé Rita, du nom des zones de fracture, Rivera et Tamayo, encadrant le segment étudié. Depuis lors, les recherches sur les dorsales ont progressé dans les différents pays actifs dans ce type d’étude (États-Unis, France, Allemagne, Grande-Bretagne). Le programme international multidisciplinaire R.I.D.G.E. (Ridge Interdisciplinary Global Experiments), lancé en 1987 à l’initiative des États-Unis, a pour but de comprendre les causes et les conséquences physiques, chimiques et biologiques des transferts d’énergie dans le système global des dorsales, à la fois dans l’espace et dans le temps. Il guidera et stimulera l’étude des dorsales jusqu’à la fin du XXe siècle.1. Découverte des dorsalesEn 1854, Matthew Fontaine Maury publie la première carte bathymétrique de l’Atlantique nord en compilant des sondages dispersés. Cette carte suggère déjà l’existence d’une ride médiane dans cet océan. La preuve de la présence d’une barrière à peu près ininterrompue pour la circulation océanique profonde est apportée par les mesures de la température de l’eau proche du fond de l’océan, effectuées lors de l’expédition de la corvette britannique H. M. S. Challenger au cours des années 1872 à 1876. Lors de cette expédition, dirigée par Charles Wyville Thompson, une région peu profonde est découverte entre le Chili et l’île de Tahiti; appelée dorsale de l’île de Pâques, puis plateau de l’Albatros, elle est connue actuellement sous le nom de dorsale du Pacifique est. La campagne danoise conduite sur le navire Ingolf en 1895-1896 met en évidence une autre dorsale, baptisée dorsale de Reykjanes, qui court sur 1 100 kilomètres au sud-ouest de l’Islande. Dans son rapport sur l’expédition (1898), C. F. Wandel pense que ce relief doit être jeune et formé de laves récentes, car les dragages effectués ne recueillent aucun débris glaciaire, pourtant fréquents dans cette région mais probablement recouverts par des laves. Une autre expédition danoise, sur le navire Dana en 1928-1930, permet de découvrir la dorsale de Carlsberg (du nom d’une brasserie de Copenhague qui a financé en partie cette campagne) dans l’océan Indien à l’aide d’un seul profil bathymétrique. Au début des années 1930, les Britanniques John Wiseman et Seymour Sewell continuent l’exploration de la dorsale de Carlsberg durant la campagne John Murray. Ils mettent en évidence le prolongement de cette dorsale vers le sud-est (au sud de l’île de Rodriguez) et sa connexion, vers le nord, avec les rifts africains par le golfe d’Aden. En 1949, Ivan Tolstoy et Maurice Ewing, du Lamont Geological Observatory, publient les résultats de l’expédition Atlantis 150 de l’été de 1947 et démontrent pour la première fois l’existence dans l’Atlantique de provinces physiographiques, en particulier d’une chaîne centrale (Main Range) à l’axe de la dorsale médio-atlantique. À 30 degrés de latitude nord, ils découvrent la première zone de fracture de l’Atlantique, baptisée Atlantis, et recueillent, par dragages, des roches ultrabasiques broyées et métamorphisées. Dans le Pacifique, la première zone de fracture, Mendocino, est esquissée en 1939 par H. W. Murray, et décrite en détail par Henry W. Menard et Robert S. Dietz en 1952 après l’expédition Midpac de l’automne de 1950.Après les premiers essais de sismique marine par l’Américain Maurice Ewing, en 1935, et le Britannique Edward Crisp Bullard en Manche, en 1938, Maurice Hill, de l’université de Cambridge, réussit à déterminer la zonation sismique de la croûte océanique en couches 1, 2 et 3 en faisant exploser des charges à partir d’un navire météorologique mouillé à 500 kilomètres à l’ouest de l’Irlande. Le développement des sondages bathymétriques permet à Marie Tharp et Bruce Heezen, du Lamont Geological Observatory, de publier en 1961 les premières cartes physiographiques des océans, véritables panoramas des grands fonds malgré la faible densité de sondages dans certaines régions. Marie Tharp est la première à remarquer, en 1952, l’existence d’une vallée à l’axe de la dorsale médio-atlantique sur trois des six profils alors réalisés. En septembre 1953, Maurice Hill cartographie une vallée médiane à l’axe de la dorsale médio-atlantique, vers 47 degrés de latitude nord. Ewing et Heezen émettent, en 1956 et 1960, l’hypothèse que l’ensemble des dorsales marquées par une sismicité active est caractérisé par un rift axial.La sismicité des dorsales des océans Atlantique et Indien est remarquée par N. H. Heck en 1935, et c’est Beno Gutenberg et Charles Richter qui, en 1945, montrent une continuité de la sismicité de la dorsale médio-atlantique et de son prolongement vers l’océan Arctique, ainsi que de celle de la dorsale de Carlsberg et de son prolongement. Le sismologue français Jean-Pierre Rothé, alors directeur du Bureau international de sismologie, à Strasbourg, publie en 1954 un remarquable document montrant une ceinture étroite et quasi continue d’épicentres de séismes du nord de l’Islande, au milieu de l’Atlantique, jusqu’autour de l’Afrique du Sud et dans l’océan Indien, le long de la dorsale qui sépare l’Afrique et l’Antarctique jusqu’à la mer Rouge en passant par la dorsale de Carlsberg.2. Géographie des dorsalesLes dorsales océaniques sont les traits les plus importants de la physiographie des océans. D’après l’étude hypsométrique de Henry W. Menard et Stuart M. Smith, de la Scripps Institution of Oceanography, elles représentent environ 33 p. 100 de la surface totale des fonds océaniques. Dans les différents océans, elles occupent sensiblement la même superficie: 30,2 p. 100 dans l’océan Indien, 31,2 p. 100 dans l’Atlantique et 35,9 p. 100 dans le Pacifique. Elles forment un système continu de reliefs sous-marins de près de 60 000 kilomètres (fig. 1).3. Structure superficielle des dorsalesLes dorsales océaniques sont des chaînes sous-marines de quelques milliers de kilomètres de largeur (fig. 2 et 3).Leur morphologie d’ensemble semble être contrôlée par le taux d’accrétion (taux de séparation ou d’ouverture entre deux plaques), qui varie de 1 à 18 centimètres par an.Pour un faible taux, de l’ordre de 1 à 3 centimètres par an, caractéristique de la dorsale médio-atlantique dans l’Atlantique nord et de la dorsale sud-ouest de l’océan Indien, une vallée profonde, ou rift, marque l’axe de la dorsale (fig. 4 a). Large de 20 à 50 kilomètres, elle est constituée de grabens emboîtés avec un plancher interne bordé par des grandes failles normales. De part et d’autre, dans la province des montagnes du rift, la croûte océanique conserve une topographie faillée et très accidentée créée dans la vallée, avec une atténuation du relief due à la sédimentation pélagique.Pour une accrétion moyenne, de 3 à 5 centimètres par an, observée dans l’Atlantique sud et au niveau de la dorsale centrale indienne, la vallée axiale n’est bien développée qu’au contact des failles transformantes qui segmentent ce dispositif de dorsales. Pour une accrétion rapide, de 5 à 10 centimètres par an (fig. 4 b), la vallée axiale, souvent absente, n’a que 50 à 200 mètres de profondeur. Elle occupe l’axe d’un large bombement, et la topographie des flancs est relativement douce. De bons exemples sont fournis par la dorsale du Pacifique est, à l’entrée du golfe de Californie, et par la dorsale de Colón (Galapagos Spreading Center), à l’est des îles Galapagos.Pour une accrétion très rapide, située entre 10 à 18 centimètres par an (fig. 4 c et 4 d), il n’y a plus de vallée axiale mais, au contraire, une ride topographique linéaire de 200 à 300 mètres de relief et d’une dizaine de kilomètres de largeur, parfois entaillée par un petit graben. C’est le cas, par exemple, de la dorsale du Pacifique est à 13 degrés de latitude nord, étudiée en détail depuis 1982 par des équipes françaises à l’aide des submersibles Cyana et Nautile . La croûte montre une topographie relativement lisse avec des accidents du type horst et graben de faible amplitude.Il existe toutefois quelques exceptions à cette classification: en effet, les dorsales localisées à proximité des points chauds, par exemple la dorsale de Reykjanes, au sud de l’Islande, ne comportent pas de vallée axiale mais prennent les caractéristiques morphologiques des dorsales rapides.Les différents modèlesPlusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer l’existence d’une vallée axiale. Le premier type de modèle est celui d’une perte de charge hydraulique due à la viscosité du magma qui remonte dans un conduit à l’aplomb de l’axe de la dorsale. La dépression existant au toit du conduit traduit la perte de charge due aux forces visqueuses, forte quand le conduit est étroit (dorsale lente), faible quand il est large (dorsale rapide).La striction de la lithosphère axiale en régime permanent est à la base du deuxième type de modèle. Elle agit sur la partie plastique de la lithosphère axiale et n’aboutit jamais à la rupture, car il y a constamment un apport d’asthénosphère et création d’une nouvelle croûte. Elle ne se manifeste que sur une lithosphère suffisamment résistante (dorsale lente) et est négligeable quand la région axiale est dominée par le comportement de l’asthénosphère (dorsale rapide).Des modèles plus complets ont été proposés en 1990 par John Chen et Jason Morgan, de Princeton University, en développant cette idée de modélisation mécanique de la lithosphère, mais en utilisant une rhéologie non linéaire par la croûte océanique. Ils rendent compte de l’existence d’une vallée axiale de 1 à 2 kilomètres de relief pour une accrétion lente, de moins de 500 mètres pour un taux intermédiaire et de la disparition du rift pour les dorsales à accrétion rapide. Selon ces chercheurs, les caractéristiques de la dorsale de Reykjanes (profondeur trop faible puisqu’elle arrive au niveau de la mer) pourraient s’expliquer par des anomalies positives de température dans le manteau (+ 150 0C) ou par une épaisseur excessive de croûte océanique. De la même façon, les particularités (profondeur trop grande d’au moins 500 m, entre autres) de la discordance Australie-Antarctique, segment anormal de la dorsale sud-est indienne compris entre 120 et 128 degrés de longitude est et que l’on a apparenté à un «point froid», pourraient être liées à une anomalie négative de température du manteau (face=F0019 漣 150 0C) sous la discordance, ou à une croûte anormalement mince. À la jonction dorsale-faille transformante, une croûte mince ou un manteau froid pourrait aussi expliquer l’approfondissement de la dorsale et l’apparition fréquente d’une vallée axiale.La segmentation des dorsalesAu début des années 1970, lors de la révolution de la tectonique des plaques, les dorsales océaniques sont considérées comme des frontières simples de plaque formées à l’arrière de chacune des plaques divergentes. On suppose qu’elles doivent montrer un fort degré d’uniformité et que les processus à l’axe des dorsales doivent refléter une réponse purement passive à la séparation des plaques lithosphériques. On sait que les dorsales sont décalées, à des intervalles plus ou moins réguliers, par des failles transformantes que l’on suppose soit héritées des premiers stades d’ouverture, soit créées afin de minimiser l’énergie dissipée au niveau des zones d’accrétion. Depuis le début des années 1980, cette vision s’est considérablement modifiée. Grâce aux nouveaux outils de cartographie à haute résolution (sondeur multifaisceaux Sea Beam, sonar latéral Sea Marc, sonar latéral à grande portée Gloria) et aux changements d’échelle d’échantillonnage de la croûte océanique, on s’est progressivement rendu compte que les processus d’accrétion sont non cylindriques et non permanents, c’est-à-dire que les variations de l’activité volcanique et tectonique le long de l’axe sont aussi importantes que celles qui sont observées perpendiculairement (variations en fonction de l’âge). La segmentation des dorsales, qui définit des zones de quelques dizaines à une centaine de kilomètres de longueur, est aujourd’hui considérée comme un phénomène majeur. Elle est marquée par des discontinuités axiales qui sont intimement liées au phénomène d’accrétion et qui peuvent constituer l’expression tectonique en surface des processus de genèse de la croûte océanique en profondeur. Les discontinuités prennent plusieurs formes: rifts en relais (dédoublement de dorsales ou rides doubles correspondant aux overlapping spreading centers ), propagateurs (région où la dorsale s’allonge parallèlement à elle-même), microplaques et failles transformantes.Les failles transformantes (ou les microplaques) représentent de grands décalages en distance (de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres), donc en âge de la croûte océanique (juxtaposition de part et d’autre de la faille d’une croûte qui diffère en âge de une à plusieurs dizaines de millions d’années). Ces structures sont en général permanentes et stables. On peut, par exemple, suivre la trace fossile des failles transformantes pendant des dizaines de millions d’années sur les flancs de la dorsale. Les microplaques sont beaucoup plus instables: leur cération se fait souvent par propagation d’un rift à l’extrémité d’une faille transformante, et leur mort, par extinction d’une des dorsales encadrant la microplaque, permet le transfert d’une partie de la lithosphère d’une plaque à l’autre. Ce processus de transfert avait auparavant été attribué à un phénomène de saut de dorsale qui était pourtant difficile à expliquer physiquement. Les rifts en relais constituent de petits décalages à la fois en distance (quelques dizaines de kilomètres) et en âge (moins de 1 Ma). Ils ne sont pas accompagnés de zones de cisaillement, et tout porte à croire qu’ils sont très instables et éphémères. La cartographie de ces structures à distance de l’axe de la dorsale est encore trop restreinte pour qu’on puisse obtenir une image de leur variation dans l’espace et dans le temps.L’origine de la segmentation des dorsales n’est pas encore bien comprise. Elle peut être due en partie à une segmentation des sources magmatiques du manteau supérieur, mais elle peut aussi avoir une origine lithosphérique et être fonction des propriétés de la croûte et de la lithosphère (épaisseur variable, état des contraintes locales ou régionales). Chaque segment de dorsale a des caractéristiques tectoniques et volcaniques qui varient dans l’espace et le temps en fonction de l’évolution des propriétés physiques et chimiques des sources magmatiques sous-jacentes. Il passe par des phases magmatiques avec un volcanisme abondant suivies par des phases tectoniques marquées par la présence de failles et fissures suivant l’apport fort ou faible des sources magmatiques sous-jacentes.Cette évolution doit être replacée dans le cadre de la variation de profondeur le long de l’axe des dorsales, qui se manifeste à plusieurs échelles: variations de plusieurs kilomètres à grande et moyenne longueurs d’onde (de quelques centaines à quelques milliers de kilomètres) pour la dorsale médio-atlantique (fig. 5), en liaison avec les propriétés de l’asthénosphère, ou variations de plusieurs dizaines à centaines de mètres à petites longueurs d’onde (de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres) pour la dorsale du Pacifique est, en liaison avec la présence de réservoirs magmatiques localisés à faible profondeur dans la croûte et le manteau supérieur. Chaque segment de dorsale constitue en fait une unité fondamentale de l’accrétion, véritable cellule d’accrétion (spreading cell ). Les données gravimétriques acquises en mer au niveau de l’axe des dorsales le confirment.La distribution des anomalies de Bouguer réduites au manteau, pour s’affranchir de l’effet de la topographie océanique et de la croûte, est compatible avec des zones d’injection où l’asthénosphère serait à une température plus élevée au centre des segments. La campagne S.A.R.A. (Segmentation ancienne de la ride atlantique), menée par l’Institut de physique du globe de Paris au printemps de 1990, a permis d’étendre cette cartographie gravimétrique de la segmentation jusqu’à 10 millions d’années sur les flancs de la dorsale médio-atlantique.4. Structure profonde des dorsalesLe phénomène majeur à l’axe des dorsales est la création de la croûte et de la lithosphère. Les processus physiques et chimiques qui permettent d’extraire du magma à partir du manteau supérieur et de créer la croûte océanique sont encore très mal connus. Et, surtout, l’existence à l’axe de la dorsale d’une zone d’accumulation de magma – chambre ou réservoir magmatique – à l’intérieur de la croûte est loin d’être démontrée partout. Au milieu des années 1970, l’image d’une chambre magmatique permanente et bien développée au centre de la dorsale est communément admise. L’étude des ophiolites, fragments d’anciennes croûtes océaniques incorporés aux continents dans les chaînes de montagnes révèle l’importance des phénomènes de cristallisation pour la formation d’une épaisse couche de gabbro que l’on identifie à la couche 3 définie par la sismique dans les océans. Depuis 1980, l’hypothèse de la chambre magmatique axiale est remise en question. Au niveau des dorsales lentes, il n’existe aucune donnée géophysique claire mettant en évidence l’existence d’une chambre magmatique crustale. Les hétérogénéités géochimiques sur de courtes distances sont également difficiles à concilier avec la présence de chambres bien développées. Pour les dorsales rapides, des études sismiques ont montré l’existence d’une atténuation des ondes de cisaillement et d’anomalies de propagation des ondes de compression, ainsi que la présence d’une couche à faible vitesse intracrustale avec, à son toit, un réflecteur très énergétique. La chambre magmatique définie par ces données est néanmoins beaucoup plus petite que ne le laissaient supposer les études des ophiolites; même pour ces dorsales rapides, la variabilité géochimique est forte.À l’axe de la dorsale du Pacifique est, où les expériences sismiques ont été les plus détaillées et aussi les plus convaincantes, le réflecteur révélé par des profils de sismique réflexion multitrace est situé entre 1,4 et 2,5 km sous le fond de l’océan (fig. 6). La largeur de la chambre magmatique n’excède pas 2,8 km d’après les données de sismique réfraction. Le réflecteur axial est loin d’être continu: il montre des discontinuités liées à la segmentation de la dorsale. Les études sismiques indiquent également que la croûte jeune est marquée par des vitesses très faibles à son toit. Ces dernières s’expliquent sans doute par la fissuration intense de la croûte, qui favorise la circulation des fluides et les échanges hydrothermaux. Une importante limite dans la distribution verticale des vitesses sismiques, à 1,4-1,5 km, marque le passage du complexe filonien (sheeted dyke ) au gabbro isotrope, c’est-à-dire la limite entre les couches 2 et 3 définies par la sismique réfraction. Cette zone correspond aussi au toit de la chambre magmatique. William Purdy, du Woods Hole Oceanographic Institute, a mis en évidence en 1990, par des expériences de tomographie sismique, l’existence de domaines de croûte supérieure où la vitesse de propagation des ondes de compression est très hétérogène. Il est possible que cela traduise une variabilité très grande dans l’épaisseur des laves alimentées par le complexe filonien et que certains domaines soient complètement «amagmatiques», avec un complexe filonien affleurant, même dans le cas des dorsales à accrétion rapide. La présence de chambres magmatiques de petite taille et discontinues est également compatible avec les données de flux de chaleur et les modèles thermiques des dorsales si l’on tient compte de la perte de chaleur considérable liée à la circulation de fluides hydrothermaux. En effet, un seul fumeur noir (black smoker ), point de décharge hydrothermale à haute température, est capable d’évacuer autant de chaleur par an (25 . 107 W) que celle qui est nécessaire au refroidissement du magma mis en place sur un segment de dorsale de 2 kilomètres de longueur accrétant au taux de 8 centimètres par an. Il est donc essentiel de tenir compte de ces puits de chaleur, qui interdisent l’existence de chambres magmatiques de grande taille.Le manteau sous la dorsaleIl y a peu de renseignements directs sur la structure profonde des dorsales. La pétrologie et la géochimie des laves et des péridotites apportent cependant des contraintes sur la composition du manteau (source des magmas mis en place à l’axe des dorsales) et sur les conditions physiques des premiers stades de sa fusion. Dans les zones de divergence des plaques, le manteau asthénosphérique remonte rapidement, sans échange significatif de chaleur (remontée adiabatique) si le taux d’accrétion n’est pas trop lent – supérieur à 0,5 cm par an – et commence à fondre en produisant du magma. Emily Klein et Charles H. Langmuir, du Lamont-Doherty Geological Observatory, ont pu montrer en 1987 que la systématique de la chimie des laves émises aux dorsales pouvait se relier simplement à la profondeur de la dorsale, à l’épaisseur de la croûte et à la température de l’asthénosphère. Dan McKenzie, de Cambridge University, et Michael Brickle, d’Oxford University, ont développé une théorie de la fusion mantellique et montré l’importance de la température de l’asthénosphère pour la fusion partielle (fig. 7).On peut donc considérer que les dorsales constituent de véritables fenêtres dans le manteau si l’on réussit à soustraire tous les processus crustaux. On a pu ainsi mettre en évidence, par la géochimie, plusieurs domaines mantelliques distincts. La cartographie du manteau est néanmoins difficile car, hormis les zones axiales des dorsales et les zones de volcanisme intraplaque (îles, volcans sous-marins liés ou non à un point chaud), la grande majorité de la croûte océanique n’est accessible que par forage au travers de la couverture sédimentaire. Les dorsales constituent un laboratoire naturel idéal, car les liquides et les solides résiduels sont tous deux disponibles dans un contexte géodynamique relativement simple. Néanmoins, de nombreux problèmes subsistent quant aux conditions physiques de fusion commençante, de percolation, de ségrégation et de cristallisation des liquides.D’autres contraintes sur la structure profonde des dorsales sont fournies par les observations géophysiques. La topographie des océans reflète directement la structure thermique de la lithosphère créée à l’axe de la dorsale, et des anomalies de température de l’asthénosphère engendrent des anomalies de profondeur. La subsidence monotone de la croûte océanique en fonction de l’âge et la décroissance du flux de chaleur s’expliquent par le refroidissement continu du manteau supérieur avec l’âge. Malgré ce succès dans la modélisation de la topographie et du flux de chaleur, on ignore pratiquement tout sur l’écoulement dans le manteau, qui dépend beaucoup du degré de couplage entre la lithosphère et l’asthénosphère. La tomographie sismique à l’échelle du globe ou des océans, réalisée à partir de l’inversion numérique de la propagation des ondes de volume et de surface, permet de calculer les variations spatiales des vitesses, de l’atténuation et de l’anisotropie. La tomographie peut illustrer les écoulements dans le manteau et donner une image de la structure profonde sous les dorsales. Les images tomographiques montrent que les racines (zones anormales par rapport aux régions adjacentes) des dorsales ont au plus 200 à 300 kilomètres de profondeur.5. Circulation hydrothermaleLa circulation hydrothermale au centre des dorsales transporte environ 30 p. 100 du flux de chaleur d’origine interne vers la surface du globe (fig. 8). Elle est à la base de flux importants d’éléments entre la croûte et l’océan. Pendant longtemps, l’écart entre le flux de chaleur par conduction mesuré dans les océans et les modèles théoriques de la structure thermique de la lithosphère océanique supposait qu’une quantité importante de chaleur devait être évacuée, donc non mesurée, par une circulation hydrothermale. Il a fallu attendre 1977 pour que les premières observations de sorties d’eau anormalement chaude (anomalies de quelques degrés à dizaines de degrés) soient faites par Jack Corliss et ses collaborateurs à l’axe de la dorsale de Colon, à l’est de l’archipel des Galapagos. En 1979, dans la zone Rita, sur la dorsale du Pacifique est, à 21 degrés de latitude nord, le submersible américain Alvin permettait de découvrir des évents, ou griffons, hydrothermaux avec des températures de décharge atteignant 350 0C. Ce sont les fumeurs noirs, formes les plus spectaculaires de l’activité hydrothermale, qui crachent, à une vitesse de 1 à 2 mètres par seconde dans l’eau abyssale à 2-3 0C, un fluide chargé de sulfures de fer, de cuivre et de zinc qui se déposent, au contact de l’eau, pour former cheminées et monticules de sulfures atteignant plusieurs dizaines de mètres de hauteur. La précipitation des sulfures de fer est due au mélange de fluide hydrothermal avec l’eau abyssale. D’autres sorties, les fumeurs blancs, ont des températures moins élevées. Enfin, de vastes champs hydrothermaux ne sont détectables visuellement que par une prolifération d’organismes vivants et par une eau moirée, à 10-20 0C, sans trace de dépôts solides, ces derniers se faisant sous la surface.Toutes les caractéristiques de ces dépôts hydrothermaux océaniques sont semblables aux dépôts de sulfures massifs rencontrés dans les ophiolites de Chypre ou d’Oman. Le stockwerk (conduit d’altération) qui a servi de conduit d’alimentation pour les fluides des ophiolites à une profondeur de 1 à 2 kilomètres sous les dépôts doit avoir son équivalent sous les dorsales. L’échange des observations et des idées concernant les deux systèmes actifs (dorsale du Pacifique est et dorsale médio-atlantique...) et ceux qui sont fossiles (Chypre, Oman) s’avère extrêmement fructueux.Il existe de nombreux problèmes non résolus concernant l’activité hydrothermale des dorsales. On sait que cette activité persiste jusqu’à des âges de 60 à 80 millions d’années, car on observe des anomalies de flux de chaleur par rapport aux modèles théoriques jusqu’à ces âges, mais on ne sait pas si la circulation se fait dans la croûte ou dans les sédiments, et sous quelle forme. Dans la zone axiale, on ignore tout des zones de recharge, faute de marqueurs, à l’inverse des zones de décharge, qui sont soit de véritables oasis de vie, soit des régions recouvertes par des dépôts. On ne connaît pas bien non plus la perméabilité de la croûte jeune (de l’ordre de 10-14m2), qui gouverne la profondeur de pénétration des fluides. Les résultats sismiques et de diagraphie des forages dans la croûte montrent qu’il y a une chute de porosité très importante sous les laves. Il est donc peu probable que l’activité hydrothermale soit aussi intense dans le complexe filonien. C’est en tout cas la convection de l’eau de mer dans la croûte jeune qui explique la petite taille des chambres magmatiques révélées par sismique. Il convient aussi de mieux préciser la durée de vie des systèmes hydrothermaux, qui doivent être éphémères si la quantité de chaleur transportée par ces systèmes est grande. On ne dispose que d’une seule mesure de flux de chaleur (3 mégawatts), dans le cas d’un système peu énergétique. Les systèmes hydrothermaux observés dans les océans ont révélé une variabilité inattendue puisque l’eau de mer et la croûte océanique ont une composition chimique relativement uniforme. Des écarts de salinité de 0,7 à 1,4 fois la salinité de l’eau de mer et des écarts d’un facteur dix du rapport Fe/S illustrent cette variabilité. Il est certain qu’il y a une interaction entre les écosystèmes autotrophes chimiosynthétiques et les caractéristiques chimiques des fluides, mais celle-ci n’est pas encore quantifiée.
Encyclopédie Universelle. 2012.